DDO, octobre/novembre 1995
catalogue XII Grancia d'Argento (Serre di Rapolano, Siena, Italie), mai 1993
Extrait de Zoom n° 76, 1980
Des bruits entre les images.

Les mythes ont cette particularité d'être fondateurs parce qu'ils nous parlent de ce que nous ne connaitrons jamais, bien que nous en venions : l'Origine. Tout a une origine mais inconnue, pour preuve ces recherches généalogiques entreprises et qui s'arrêtent parce qu'il est impossible d'aller plus en arrière dans le temps. Et puis, à quoi bon ? Que nous ayons été conçus par un homme et une femme devrait suffire à apaiser nos angoisses, n'est-ce pas ? Eh bien ! non. Inlassablement il nous faut raconter notre petite histoire préférée, celle qui nous aidera à trouver le sommeil ou à continuer de vivre.

Le mythe semble inépuisable parce qu'il a pour particularité de produire du mythe. C'est un discours suffisamment souple et protéiforme pour pouvoir accueillir notre propre mythologie. Dire que le travail de Jean-Pierre Morcrette procède de cet esprit serait réducteur. Certes ce dernier travaille le mythe en se l'accaparant, donc en y projetant certains de ses fantasmes, mais plus encore, il déconstruit l'acte photographique en tant que celui-ci a engendré dès le départ sa propre mythologie : naïveté, innocence, instant décisif, on oublie le médium pour ne retenir de la photographie que la trace qui en authentifie le fait indubitable que j'ai bien réellement vu ce qui était là au moment où j'ai déclenché.

Cette croyance à la photographie en a engendré d'autres : croyance à la France, fêtes foraines, gamins des rues, mariées en blanc sur fond d'usines fumantes, péniches, croyance au message, ouvriers du monde entier tenez-vous la main, dégénérescence de l'humanisme en kermesse de l'humanitaire, la liste n'est pas exhaustive hélas de tous les prétextes bons à nous faire oublier la spécificité du message photographique, son irréductibilité au signifié sous le poids duquel on voudrait l'asphyxier. À cette fin Jean-Pierre Morcrette ne « révèle » pas ses clichés, il les présente en tant que négatifs noirs et blancs et à l'envers de la même manière qu'on pourrait les voir dans la boîte obscure si d'aventure il nous était possible d'aller y faire un tour avant que notre doigt presse le bouton. Et là, dans le processus photographique, on devine que ça travaille les mythes au corps en un combat rapproché et douteux où le texte des origines se montre troué, mangé aux mites et vaguement piteux.

Peut-être que dans ce type de démarche il existe une déception semblable à celle des oiseaux venus picorer les grains de raisin que Zeuxis avait peints, mais gageons qu'il existe surtout la jubilation de pouvoir jouir d'un discours dont la finalité inavouée est de nous interdire l'accès à la jouissance parce qu'il dit tout simplement que ça a déjà eu lieu et que ce n'est pas la peine de chercher plus loin.

Mais plus loin Jean-Pierre Morcrette y est déjà, en ce moment il travaille sur des paysages en triptyques, comme s'il voulait, dit-il « capter des bruissements, ces choses qui se passent entre les images », peut-être les bégaiements de nos pères, les vagissements de nos ainés, les bruits de l'origine qui sait.

 

Jean-René Lefebvre, ddo (bulletin d'informations en art contemporain de l'Eurorégion Nord), octobre/novembre 1995





Morcrette fait travailler la photo. Il fait réfléchir la photographie dans le miroir de l'écriture et de la peinture. Ou l'inverse. Ainsi nous donne-t-il à voir la nuit, la mort, le temps et la douloureuse absence des choses. Ce qu'il compose n'est pas un discours, mais un parcours : c'est la série qui parle plus que l'élément.


Régis Debray, catalogue XII Grancia d'Argento (Serre di Rapolano, Siena, Italie), mai 1993




[…] Dans des compositions de très grands formats, le photographe semble détailler certains flashes de son histoire. Des origines à nos jours, d'Adam et Eve à ses amours déçues, de Platon à son carnet de notes, Jean-Pierre Morcrette fait alterner l'évidence (reproduction de pages de livres) avec le symbolisme quand il ne fait pas appel aux mythes éternels (série mytheuse).

Et la photo dans tout cela, diront certains esprits étroits qui attendent de belles images bien propres. Elle n'est dans ce type de démarche que le support d'une expression définitivement personnelle, autobiographique et un tantinet nombriliste. Ce choix (qu'on a le droit de ne pas partager mais dont la valeur intellectuelle mérite le respect) oblige le spectateur à plus d'attention.

Beaucoup d'entre eux risquent de passer à côté. Par paresse peut-être, mais, le plus souvent, parce qu'ils refouleront ces images qui dérangent et bouleversent les références d'un petit confort ancré dans le réel. Mais n'est-ce pas le but du jeu ?

 

C. Brackers d'Hugo, La Voix du Nord, 28 mars 1993




« Photographies ? » Ce titre situe l'exposition de Jean-Pierre Morcrette hors genres connus. Son accrochage, original et rigoureux, a bien pour ambition de montrer. Mais il nous plonge dans le désordre fécond de sa création, délaissant les effets visuels pour remonter aux concepts mêmes, notes manuscrites et images subliminales.

Mélangeant les reproductions de tableaux, de pages de livres et les créations propres, le photographe revisite l'histoire de l'image. Puisant dans le flux inconscient qui l'enracine au visuel, il parvient à rendre touchante sa démarche, la sauvant ainsi de l'intellectualisme pur.


Anne-Marie Morice, Révolution, n° 684, 8 avril 1993




Morcrette utilise les codes modernes de l'image pour nous en faire sortir et, s'il organise la page sans effet ou ruse esthétique, c'est pour nous permettre cette échappée hors de sentiers battus…

Pas de scénario à la lettre, pas de maison à « histoire », de description fouillée du visage, mais un regard froid qui rêve à fleur de peau, rase le mur… papier peint et interrupteur.


Paule Geneberg, Zoom n° 76, 1980

 

Jean pierre Morcrette
Quelques textes critiques concernant les travaux photographiques de Jean pierre Morcrette.
Critiques

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